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Dans le cartel « Sexualité et sexuation » nous avons lu une traduction en espagnol de l’article de J.-A. Miller « Petite introduction à l’au-delà de l’Œdipe »1. Une des participantes au cartel a commenté une phrase de cet article et, en la relisant, je me suis aperçue que le texte que nous lisions comportait une erreur de traduction. Une fois confirmée l’erreur, la phrase ne m’apparaissait plus aussi transparente; au contraire, son caractère énigmatique est apparu. C’est ainsi que je me suis replongée dans la lecture de l’article et que j’ai pu saisir quelque chose d’important pour la poursuite de mon travail de cartel.
Dans cet article, J. A. Miller propose de se questionner sur le mythe freudien du Père. Il nous rappelle que c’est Lacan, avec son retour à Freud, qui rétablit le père freudien « dans sa figure et sa fonction, sa majesté et son opérativité. Mais aussi, c’est pour l’avoir ainsi exalté et formalisé que Lacan put passer outre ».
Avec la métaphore paternelle, Lacan coordonne la castration et l’Œdipe. Pourtant, « l’écrit La signification du phallus rend compte du primat du phallus sans référence à l’Œdipe. Il le coordonne (le phallus) au signifiant comme tel, et non plus au signifiant privilégié du Nom-du-Père ». C’est dire que la castration ne vient pas du Père, mais du langage. Le signifiant opère avant le refoulement et l’Œdipe serait un « des contes faits pour romancer la perte de jouissance ». Cette perte de jouissance constitue un réel dont les fictions rendent compte. Le Nom-du-Père ou tout autre signifiant qui vient désigner ce réel serait du semblant.
Quelle place pour le Nom-du-Père ? J.-A. Miller signale l’importance de bien le situer dans sa fonction d’usage dans la pratique : « s’en passer à condition de s’en servir ». « Comment ne pas répondre au semblant du Père par le semblant d’en être dupe » ? La psychanalyse au-delà de l’Œdipe serait celle dégagée de la croyance dans le semblant du Nom-du-Père, pour s’orienter du réel de la jouissance.
S’en servir sans y croire, c’est ce que le sujet fait avec son symptôme à la fin de son analyse. « Au-delà de l’Œdipe, n’entrent pas les Noms-du-Père, ni la femme, ni l’homme masqué. Il n’entre, au-delà de l’Œdipe, savants, héros, que des victimes, que des vaincus »6 . Ce qui était traduit par « …ni victimes, ni vaincus », ce qui laissait ceux-ci en-deçà de l’Œdipe. Ainsi, on aurait pu conclure que personne ne peut passer au-delà de l’Œdipe. Dans la pratique, cela équivaudrait à une psychanalyse édifiée autour du Père idole œdipien, ce qui la mettrait du côté de la religion et la mythologie. Or, le passage au-delà ouvre à la dimension du réel et de la contingence. Victimes et vaincus par l’incidence du langage et le rapport qui n’existe pas ? Savants et héros dans l’assomption de ses fictions, en sachant s’en servir et s’en passer ?
- 1. Miller J.-A. : « Petite introduction à l’au-delà de l’Œdipe », Revue de l’École de la Cause freudienne, nº 21, mai 1992, p. 7-10. Version en espagnol in « Del Edipo a la Sexuación », Paidós., 2001, p. 17-22